Kalimat : “Je n’ai pas choisi les racines qui m’ont influencé mais j’ai choisi une façon de les entrelacer”
Poète slameur, rappeur, auteur, compositeur et interprète ; rencontre avec Kalimat, une âme artiste qui voyage entre les mots.
Kalimat, tu es un artiste complet et pluridisciplinaire. Comment définirais-tu ton travail ?
Je dirais que j’exerce ma perception poétique sur mes expériences individuelles et collectives. La perception ou le regard qu’on porte sur les choses détermine le comportement qu’on adopte, et donc l’expérience émotionnelle qu’on en fait. Poésie veut dire fabriquer donc je définirais mon travail comme un atelier de matérialisation et de célébration d’une réflexion concrète, idéale et progressive sur soi, l’autre et le monde.
Quelle a été ta première expérience artistique ?
En 3e, la prof de musique a proposé à la classe de prendre le micro pour chanter des chansons de notre répertoire personnel. J’ai été le seul à le faire. C’était ma première scène.
Où puises-tu tes inspirations ?
Je crois qu’il y a deux encriers dans lesquels je puise mon inspiration. Mon encrier intérieur, “ce que je suis” (à la fois du verbe “être” et du verbe “suivre”, mon vécu et mes croyances) et l’encrier extérieur, ce qui s’impose à moi, les interactions, le monde. J’évolue dans un certain cadre de références fait de spiritualité, de créolité, d’espoir et d’efforts de croissance pour m’élever et proposer des textes qui élèvent. Je m’inspire de tout ce qui peut contribuer à me faire grandir intérieurement et de tout ce qui contribue au bien-être du monde. Je me souviens d’avoir écrit : “Puisque le monde est ce qu’il est dans nos cœurs, à nous de choisir entre la jungle ou le jardin de fleurs.”
Quel message voudrais-tu faire passer à travers ton travail ?
Pour moi, le monde est une escale de conscience. Une escale de conscience parce que la vie est courte et que c’est dans ce laps de temps qu’on découvre et développe ce que nous sommes. Ma vision du monde c’est celle que j’exprime dans mes chansons, comme dans Enfant des îles par exemple : “Je suis le fruit de mes trois parents, mon père, ma mère et mon environnement… Le monde est mon école… “.
Je me rends compte qu’avant même d’avoir une vision du monde, il est nécessaire d’avoir une vision du moule d’où l’on vient. Je suis né dans une famille multi-créole, c’est-à-dire que mes parents sont déjà eux-mêmes des créoles d’Île Maurice et de Martinique, et moi je suis créole non seulement de sang mais aussi et surtout d’environnement. La région de l’Île-de-France est une île éminemment “créolisée”. J’ai côtoyé le monde sans avoir à beaucoup voyager. J’appelle ça “l’environnemonde”. Cependant, ça ne fait pas pour autant de moi ou de nous des gens experts en unité dans la diversité. Cela demande des efforts constants et un désir d’apprendre, à se frayer des chemins vers l’autre, des passerelles vitales de fraternité, de la part des individus, des communautés et aussi des institutions. C’est une entreprise de revitalisation des racines et des ailes de l’humanité. On a besoin de s’enraciner dans ce qui est vrai et essentiel pour tous, et avant ça il faudrait le chercher. Il faut dépasser les standards, les leitmotivs qui nous empêchent d’accéder à une conscience active de notre unité. C’est un vrai défi. J’ai besoin d’en parler et je pense qu’on a besoin d’en parler parce que le monde est ce qu’on en dit et ce qu’on en fait.
Quelle est ta vision en tant qu’artiste ?
Ma vision en tant qu’artiste c’est principalement un double engagement. Le premier volet est à propos des idées qui me traversent. C’est être au service de certaines idées qui peuvent me réveiller la nuit ou me plonger dans les songes le jour. Je vois mes œuvres comme des fruits, ils ne m’appartiennent que le temps de la maturation. Ensuite, ils sont pour autrui. Le deuxième volet de ce double engagement c’est envers ma société, lorsque je donne des ateliers de création, le plus souvent auprès des jeunes. L’un nourrit l’autre.
À quel moment as-tu réalisé que tu voulais embrasser une carrière artistique ?
Après un concert caritatif pour la construction d’un puits au Mali, je venais de jouer avec mon groupe de reggae du lycée. J’ai vu que la musique pouvait non seulement lever une foule mais aussi lever des fonds et surtout lever des sentiments et des actions. Et ce même soir, mon père m’a dit quelque chose comme : “Je te vois bien faire ça de ta vie”.
Selon toi, quelle serait la mission de l’art et de la culture ?
Explorer la profondeur humaine et par résonance toucher profondément les cœurs, ce qui génère nécessairement de l’empathie et permet le dialogue, la rencontre puis la relation. La mission de l’art c’est célébrer des états d’être, des sentiments élevés pour nous hisser vers la grandeur. La mission de la culture c’est tisser des relations.
En tant qu’artiste, si tu pouvais entretenir une correspondance avec la nouvelle génération, de quoi s’agirait-il ?
La spiritualité, l’engagement et l’action pour s’impliquer avec une résilience créative dans le monde.
Retrouvez Kalimat sur son site internet ou sur Spotify.
Propos recueillis par Nathalie Dispagne Gunnarsson
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